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À toutes fins utiles, le système de gouvernement américain est en panne. Comment et pourquoi ?

May 20th, 2017 | by Richard Paul
À toutes fins utiles, le système de gouvernement américain est en panne. Comment et pourquoi ?
Business and Finance
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« Des évènements malheureux à l’étranger nous enseignent de nouveau deux simples vérités sur la liberté d’une peuple démocratique. La première vérité c’est que la liberté d’une démocratie n’est pas en sécurité si le peuple tolère le développement d’un pouvoir privé au point qu’il devienne plus fort que l’État lui-même. Ceci, par essence, est le fascisme – c’est-à-dire la prise de propriété du gouvernement par un individu, un groupe, ou par tout autre pouvoir privé de contrôle. » Franklin D. Roosevelt (1882-1945) 32e président étasunien (1933-1945), (dans ‘Message au Congrès pour enrayer les monopoles’, le 29 avril, 1938)

 

« Lorsque la spoliation est devenue le moyen d’existence d’une agglomération d’hommes unis entre eux par le lien social, ils se font bientôt une loi qui la sanctionne, une morale qui la glorifie. » Frédéric Bastiat (1801-1850), économiste français, homme d’état et auteur.

« Le pouvoir tend à corrompre, et le pouvoir absolu corrompt absolument. Les grands hommes sont presque toujours mauvais, même lorsqu’ils exercent leur influence et non leur autorité; c’est encore plus vrai quand vous ajoutez la forte tendance ou la certitude de la corruption par l’autorité. » Lord Acton (John E. Dalberg) (1834-1902), historien anglais, homme politique et écrivain.

« La vérité c’est qu’il y a très peu de membres [du Congrès américain] que je pourrais même nommer ou à qui je pourrais penser qui n’ont pas participé, d’une façon ou d’une autre, à ce système [de corruption à Washington D.C.]. » Jack Abramoff, lobbyiste professionnel, (propos tenus lors de l’émission de CBS ‘60 Minutes’, dimanche, le 6 nov. 2011).

« Présentement, [les États-Unis] sont devenus une oligarchie qui repose sur une corruption politique illimitée, laquelle domine le processus de nomination du président, de même que celui de son élection. Et cela vaut aussi pour les gouverneurs des états et pour les sénateurs américains et pour les membres de la Chambre des Représentant… Par conséquent, il faut se rendre à l’évidence que les donateurs de fonds électoraux imposent une subversion complète de notre système politique… Les politiciens tant démocrates que républicains considèrent que ce flot d’argent illimité est un grand avantage pour eux-mêmes. » Jimmy Carter (1924- ), 39e président étasunien (1977-1981), (propos tenus lors d’une entrevue radiophonique, le mardi 28 juillet, 2015)

Le 17 janvier 1961, le Président Dwight D. Eisenhower (1890-1969), 34e président étasunien (1953-1961), un général cinq étoiles, prononça un discours de fin de mandat, lequel a retenti au cours des ans.

À cette occasion, il a non seulement averti ses concitoyens de la menace d’un « complexe militaro-industriel », qui pourrait “mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques”, mais il a aussi formulé un souhait, à savoir que “nous voulons que la démocratie survive pour les générations à venir.”

Plusieurs ont remarqué, cependant, que depuis les années 1980, quelque chose d’important s’est produit aux États-Unis : c’est tout le système politique étasunien qui est tombé aux mains d’une oligarchie financière sans scrupules, avec le résultat que la majorité des Américains ne peuvent recevoir de leur gouvernement les services essentiels auxquels ils ont droit.

Cela s’explique par le fonctionnement d’un cycle politique de corruption, à travers duquel les super riches sont en mesure de corrompre à leur guise le système politique et les institutions politiques.

Avant les années 1980, le système américain de gouvernement fonctionnait raisonnablement bien selon les principes dictés par la constitution américaine et en conformité avec le principe démocratique éloquemment exprimé par le président Abraham Lincoln (1809-1865), quand ce dernier déclara que le gouvernement américain était « un gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple », soumis aux votes des citoyens qui élisent les dirigeants et qui appuient les politiques qui favorisent le bien commun.

La constitution américaine est l’une des plus vieilles

La démocratie américaine est l’une des plus vieilles. En effet, la Constitution des États-Unis est la plus ancienne constitution écrite présentement en vigueur dans le monde. Elle fut approuvée le 17 septembre 1787, après trois mois de débat, à Philadelphie, en Pennsylvanie, et elle est entré en vigueur le 4 mars 1789.

C’est une constitution de type fédéral, laquelle a conduit à la mise en place d’un gouvernement fédéral fort, mais selon le principe de la séparation des pouvoirs. Au niveau fédéral, son but recherché était d’établir un système complexe d’équilibre entre une branche exécutive dirigée par un président, une branche législative dotée de deux chambres élues, lesquelles constituent le Congrès américain, et une branche judiciaire composée d’une Cour suprême des États-Unis et d’autres tribunaux subalternes. L’objectif visé était de pouvoir empêcher l’émergence d’une tyrannie. Les états américains déléguèrent un certain nombre de pouvoirs au gouvernement central, mais les pouvoirs résiduels demeurent toujours la prérogative des états.

De plus, il s’agit d’une constitution qui garantit les droits politiques fondamentaux, tels que la liberté d’expression, la liberté de religion et la liberté de la presse, ainsi proclamés dans vingt-sept amendements. Les dix premiers amendements sont connus sous le vocable de Déclaration des droits et ils ont été ratifiés et adoptés en 1791, tandis que les dix-sept autres amendements ont été adoptés au fil du temps, entre 1795 et 1992.

Fondamentalement, la constitution américaine fut un compromis entre les idées politiques d’Alexander Hamilton (New York) et celles de Thomas Jefferson (Virginie). Les fédéralistes, dirigés par Hamilton, favorisaient un fédéralisme centralisé et ils étaient soutenus par les commerçants et le monde industriel. Les anti-fédéralistes, sous la gouverne de Jefferson, souscrivaient au principe d’un fédéralisme décentralisé et ils défendaient les prérogatives des états. Ils étaient appuyés en cela par le monde rural. Au fil des ans, les transformations économiques et technologiques, et diverses décisions judiciaires en faveur du gouvernement central, ont fait en sorte de faire pencher la balance en faveur des idées d’Alexander Hamilton, ce qui a donné un gouvernement américain central fort, presque aristocratique, et centralisé.

Les réformes électorales promulguées par le président républicain Teddy Roosevelt

Cependant, depuis les années 1980, il y a eu un changement fondamental dans le fonctionnement des institutions politiques américaines. Et ce n’est pas seulement une question de changement dans la façon de délivrer les services publics, comme certains l’ont souligné. C’est un changement profond dans le fonctionnement même du système politique étatsunien, et surtout dans la manière que les citoyens ordinaires choisissent leurs représentants élus et dans la façon dont ils leur transmettent leurs demandes, leurs souhaits et leurs besoins. C’est cette influence démocratique qui s’est grandement atténuée au fil des ans.

En effet, pendant la plus grande partie du vingtième siècle, au cours duquel le niveau de vie des Américains s’est considérablement accru, il existait aux États-Unis un système de lois et de pratiques qui sauvegardait le caractère sacré du système électoral, en tant qu’expression suprême des choix des citoyens. Les personnes morales ou légales, telles que les grandes entreprises, les méga banques ou d’autres organisations ne pouvaient utiliser leur richesse pour subjuguer la voix des électeurs et venir ainsi dévaloriser le principe démocratique.

En 1905, par exemple, le président Teddy Roosevelt (1858-1919), un républicain, énonça dans son discours annuel au Congrès, les grandes lignes du principe démocratique selon lequel « toutes les contributions monétaires des grandes entreprises à un parti politique ou à toute autre fin électorale doivent être interdites par la loi. » En 1906, Roosevelt fut encore plus explicite, en déclarant : « je recommande à nouveau une loi interdisant à toutes les grandes sociétés commerciales ou industrielles de contribuer directement aux dépenses électorales de n’importe quel parti politique… Il faut laisser les individus faire les contributions qu’ils veulent ; mais interdisons d’une façon efficace à toutes les entreprises de contribuer, directement ou indirectement, à des fins politiques. » Le 26 janvier 1907, le président Roosevelt signa une loi historique, la Loi Tillman, qui fut la première législation aux États-Unis qui interdisait les contributions monétaires des grandes sociétés et des grandes banques aux campagnes électorales nationales.

Comment la Cour suprême des États-Unis a modifié le système électoral américain

Cependant, le 21 janvier 2010, la Cour suprême des États-Unis a choisi d’annuler la plupart des lois qui limitaient le rôle de l’argent des grandes sociétés dans les élections américaines depuis plus d’un siècle. En effet, le principe plus que centenaire mis de l’avant par le président Theodore Roosevelt, lequel avait prévalu jusqu’alors, et selon lequel « aucune société commerciale ou industrielle ne doit être considérée comme ayant les mêmes droits que ceux d’un citoyen ordinaire et être autorisée à lever des fonds illimités pour le financement des activités politiques, tant au niveau fédéral qu’à celui des états et des municipalités » fut aboli et jeté aux orties.

En effet, avec leur jugement dans l’affaire ‘Citizens United, le juge en chef John Roberts et quatre autres juges ont créé une véritable révolution dans le système électoral américain. Ils ont mis de côté les précédents historiques et le principe de la retenue judiciaire, et ils ont donné une interprétation radicalement favorable aux grandes entreprises au Premier Amendement de la constitution américaine, concernant la liberté d’expression. Ils ont déclaré que les « grandes sociétés commerciales et industrielles » et autres organisations légales sont en fait des « personnes », qui ont les mêmes droits que les citoyens ordinaires et qui donc peuvent participer financièrement, sans limites, aux campagnes électorales.

En conséquence, depuis la décision de 2010 de la Cour suprême américaine, le préambule de la Constitution des États-Unis, lequel dit « Nous le peuple des États-Unis, en vue de former une union plus parfaite… » devrait peut-être être changé et dire « Nous les grandes sociétés commerciales et industrielles d’Amérique… etc. », afin de refléter pleinement la nouvelle philosophie politique de la majorité conservatrice de cinq membres de la Court Roberts. En effet, le type de gouvernement que la majorité de la Cour Roberts veut permettre par sa décision du 21 janvier 2010 est essentiellement « un gouvernement des grandes sociétés, par les grandes sociétés et pour les grandes sociétés ».

De nos jours, le gouvernement américain est plus centralisé et plus corrompu que jamais

En effet, au cours du dernier quart de siècle, il s’est produit un coup d’état tranquille aux États-Unis, quand des intérêts financiers d’extrême droite ont pris le contrôle du système politique américain. Cela n’inclut pas seulement le Congrès américain; cela englobe également la Maison blanche et la Cour suprême des États-Unis. Les oligarques milliardaires sont présentement aux commandes aux États-Unis et ils font à peu près ce qu’ils veulent avec le gouvernement, indépendamment de ce que les gens ordinaires pensent ou veulent. C’est un retour à la situation qui prévalait pendant la dernière partie du 19e siècle quand ce qu’on appelait alors les ‘Robber Barons’ pouvaient acheter les politiciens, gonfler la dette publique et piller les deniers publics à volonté, tout en manipulant sans scrupules les marchés et en abusant des consommateurs.

Aujourd’hui, les gens ordinaires veulent la paix, mais les oligarques, et cela inclut Donald Trump, veulent la guerre, une guerre perpétuelle. Dans un tel contexte belliqueux, ils veulent être en mesure de se remplir les poches avec une industrie de la guerre qui étend ses tentacules partout dans le monde.

Les gens ordinaires veulent des services sociaux et veulent réduire la pauvreté, mais les oligarques veulent réduire l’influence du gouvernement, réduire les impôts et garder les politiciens corrompus sous leur férule.

Les gens ordinaires veulent que leurs enfants soient protégés et soient en sécurité, et ne soient point la cible d’armes à feu lorsqu’ils vont à l’école; mais les oligarques, les fabricants et les organisations extrémistes veulent être en mesure de mousser la vente des armes d’assaut de type militaires à tous ceux qui ont les moyens de se les procurer. La plupart des politiciens américains, en effet, font preuve de lâcheté quand vient le temps de suivre l’exemple de nombreux pays en proscrivant les armes d’assaut de type militaire.

Les gens ordinaires veulent vivre dans un environnement propre, mais les oligarques veulent être libres de polluer et de poursuivre leurs propres intérêts privés aux dépens de l’intérêt général.

La plupart des gens ordinaires défendent la primauté du droit et la démocratie, mais les oligarques préfèrent un système plus proche de la ploutocratie, dans lequel leur argent a une grande influence politique. L’influence potentiellement très corruptrice de l’argent est devenue de plus en plus une réalité qui s’impose dans la politique américaine, et cela été ouvertement causé par des jugements de la Cour suprême dirigée par le juge Roberts, notamment, comme nous l’avons vu, en statuant en faveur des super riches et des grands groupes d’intérêts privés, contre l’intérêt général.

Il n’est donc guère surprenant que les Américains aient de moins en moins confiance dans leur gouvernement. On observe, en effet, un déclin continuel de cette confiance depuis un demi-siècle. Selon le Pew Research Center d’affaires publiques, alors qu’en 1958, 73 % des Américains disaient faire confiance au gouvernement de Washington D.C., ce pourcentage était tombé à seulement 18 %, en 2017. Cela représente une énorme érosion de la confiance du public étasunien dans le gouvernement, en un peu moins de soixante ans. C’est là un changement générationnel d’une grande ampleur et la preuve d’un ras-le-bol généralisé.

Quelles sont les conséquences d’un tel déplacement vers moins de démocratie ?

Les Américains sont les moins susceptibles d’exercer leur droit de vote : lors des élections de 2016, seulement 55,7 % des citoyens éligibles ont voté, contre une moyenne de 75 % dans les autres pays de l’OCDE.

Aux États-Unis, la politique est présentement un jeu d’hommes riches : dans la pratique et dans la plupart des cas, aucun citoyen américain non riche ne peut espérer être élu dans le système politique américain actuel, à moins qu’il n’accepte de devenir une prostituée politique des grands intérêts financiers et des lobbies. De plus, les citoyens ordinaires ne peuvent espérer redresser la situation, par eux-mêmes.

Peut-être encore plus significatif, il est devenu de plus en plus difficile de faire adopter des lois par le gouvernement pour améliorer le bien commun et promouvoir le bien-être général des citoyens ordinaires. Les lobbies riches, les grandes entreprises et les méga banques, soutenus par des médias très concentrés et partisans, tiennent le haut du pavé dans tout ce que fait le gouvernement. Ces puissants lobbies poussent les États-Unis à dépenser plus pour leur secteur militaire que la Chine, l’Arabie saoudite, la Russie, le Royaume-Uni, l’Inde, la France et le Japon réunis.

 

Il n’est pas surprenant, par conséquent, que les disparités de revenu et de richesse aux États-Unis soient devenues indécentes et en croissance. Le Centre Stanford sur la pauvreté et l’inégalité a classé les États-Unis comme le pire sur ce point, parmi les 10 pays les plus riches. La moitié de la population américaine vit actuellement soit dans la pauvreté ou est classée comme étant de faible revenu, selon les données du recensement américain, tandis que la classe moyenne américaine est en perte de vitesse, selon des enquêtes menées par le Pew Research Center. Pour comparer les inégalités de revenu et de richesse qui prévalent présentement aux États-Unis, il faut remonter 100 ans en arrière, soit juste avant la Grande Dépression. Aujourd’hui, il y a moins de mobilité sociale aux États-Unis et le tissu social est de plus en plus désorganisé.

Il faut craindre une chute dans la cohésion sociale d’un pays quand les inégalités de revenu et de richesse deviennent trop importantes. Cela a été un problème endémique en Amérique du Sud pendant de nombreuses années. Aujourd’hui, c’est devenu un grand problème social et économique aux États-Unis.

Les États-Unis a le taux d’incarcération le plus élevé au monde, devant le Cuba, El Salvador, le Turkménistan, la Fédération de Russie et la Thaïlande. Son taux est près de 5 fois supérieur à la moyenne de l’OCDE.

Un autre signe inquiétant : l’espérance de vie à la naissance a chuté aux États-Unis pour la deuxième année consécutive en 2016, du fait de la hausse vertigineuse de 21 % du taux de mortalité due aux surdoses de drogues, selon les Centres de contrôle des maladies et de la prévention. C’est la première fois, depuis 1962 et 1963, deux années où la grippe a causé un nombre élevé de décès, que les États-Unis connaissent deux années consécutives de baisse de l’espérance de vie.

Conclusion

Depuis les années 1980, un cercle vicieux de corruption politique s’est établi à demeure aux États-Unis, et, en se renforçant, il a produit des effets sociaux négatifs. C’est un cycle de corruption qui a permis à l’establishment financier de resserrer son emprise sur les grandes institutions américaines de la présidence, du Congrès américain et de la Cour suprême des États-Unis. Un tel cycle de corruption politique tend à se renforcer de lui-même et, au fur et à mesure qu’il devient de plus en plus général et enraciné, il devient aussi très difficile de le briser et d’inverser la tendance.

Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie à l’Université de Montréal et un ancien ministre dans le gouvernement québécois.

On peut le contacter à l’adresse suivante : [email protected].

l’Université de Montréal Prof. Rodrigue Tremblay

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